Philips a levé le voile en avril dernier sur un nouveau
CD-E que nous tentons de cerner ici et qui a la particularité
d'intéresser autant les professionnels du stockage informatique que
ceux du marché grand-public. Rappelons les faits. Le 24 avril
dernier, Philips et une dizaine d'industriels font savoir qu'ils travaillent
sur les spécifications d'un Compact Disc Effaçable, spécifications
qui, une fois admises par tous les intervenants, permettraient une interchangeabilité
des médias entre lecteurs de différentes provenances. Les
membres de ce groupe sont des leaders de l'industrie du stockage informatique
sur disque optique numérique: IBM, Ricoh, Hewlett Packard, Mitsubishi
Chemical Co., Mitsumi Electric Co., Matsushita Kotobush Electric Industries
(MKE), Sony, 3M et Olympus.
Leur but est de proposer dans les années à venir des enregistreurs/lecteurs
et des médias capables de satisfaire un large éventail d'applications.
M. Cornelius Kilk, responsable de la ligne de produits CD-WORM chez Philips
Key Modules et également président du comité CD-R
au sein de l'OSTA (Optical Storage Technology Association) définit
le CD-E comme "...une extension logique du CD-WORM/CD-R et du format
CD utilisé en informatique. Le CD-WORM est utilisé à
l'heure actuelle dans des environnements bureautiques pour l'archivage et
la diffusion de fichiers ou de documents. Le CD-E pourra également
être utilisé dans de telles applications avec, en plus, l'avantage
d'être un média très abordable... De plus, les unités
de CD-E pourront être utilisées pour relire les CD-ROM actuels
avec lesquels elles seront compatibles"
Les premières spécifications qui ont été publiées
sont plutôt laconiques. Il est dit que les enregistreurs/lecteurs
de CD-E devront savoir lire et enregistrer des CD-WORM et relire les CD-ROM
actuels. En revanche, ces déclarations laissent entendre qu'il ne
sera pas possible de lire des CD-E sur de simples lecteurs de CD-ROM ou
autres.
Une partie de ces exigences sont déjà remplies par le PD-2000,
ou Phase Change Writer 2000, de Panasonic (Matsushita) dont les premiers
exemplaires vont être commercialisés en Europe par Plasmon
Data et NEC. Présenté au Comdex `94 (MOS 129, pages 9 et 10),
ce périphérique lit, écrit et réécrit
des disques optiques à changement de phase d'un diamètre de
12 cm et d'une capacité de 650 méga-octets. C'est également
un lecteur de CD-ROM quadruple vitesse intégrant un contrôleur/
interface SCSI fonctionnant d'ores et déjà dans les environnements
compatibles PC et Macintosh. Son prix de vente public se situe en dessous
de mille dollars aux USA et chaque disque effaçable de 650 méga-octets
est proposé au prix de 60 dollars (prix moyen constaté). En
revanche, dans sa première version, le PD-2000 de Panasonic ne peut
pas écrire de CD-WORM ou CD-R.
Philips et certains des industriels précités envisagent
de commercialiser des enregistreurs de CD-E de première génération
en 1996. D'un format physique de 12 cm de diamètre (4,72 pouces),
le premier CD-E offrira une capacité de stockage comprise entre 600
et 650 méga-octets. Il pourra, à l'instar des autres supports
amovibles effaçables, être enregistré, lu et réécrit
à volonté, ce qui le rend apte à des opérations
de sauvegarde de données ou de fichiers en complément du disque
dur magnétique d'un micro-ordinateur ou d'une station de travail.
Les industriels ont choisi la technique d'enregistrement à changement
de phase parce qu'elle donne un média peu cher mais surtout parce
qu'elle permet de concevoir une unité d'enregistrement/lecture d'un
prix abordable, capable, de surcroît, de relire des CD-ROM préenregistrés.
Dans un second temps, sans doute en 1998, il est prévu une seconde
génération de CD-E qui sera de haute densité. Elle
offrira une capacité de stockage de 3 à 3,7 giga-octets sur
une seule face. De leur côté, les industriels réunis
autour de Matsushita et de Toshiba envisagent de proposer d'emblée
un disque optique effaçable de 12 centimètres de diamètre
d'une capacité de 2,5 giga-octets par face. Appelé SD-RAM
(voir dans ce même numéro, page 28), il utilise une partie
des technologies développées pour le SD ou Super Density Disk
(MOS 131, pages 7 à 12). D'autres industriels prévoient à
plus long terme d'augmenter les capacités de stockage de ces médias
en multipliant le nombre de couches. Mais les problèmes techniques
qui restent à régler avant d'y parvenir sont nombreux et ardus.
Comme nous l'avons indiqué à plusieurs reprises dans nos
colonnes, la technologie du changement de phase connaît depuis un
ou deux ans un regain d'intérêt chez les industriels du disque
optique numérique. Nous avons consacré plusieurs articles
à cette technique et fait paraître les contributions de plusieurs
spécialistes du domaine dont celle de M.
Stanford Ovshinsky (MOS 127, pages 65/67) à qui l'on doit les
premières publications sur la question. La technologie à changement
de phase appliquée aux disques optiques numériques offre de
nombreux avantages par rapport au magnéto-optique. Son premier avantage
est d'ordre pratique: la réécriture des données se
fait directement sur les précédentes - direct overwriting
en anglais - sans l'étape intermédiaire d'effacement qu'impose
le magnéto-optique. Le deuxième est de permettre la fabrication
d'enregistreurs/lecteurs dans lesquels la tête optique n'est pas bien
compliquée; cela allège la facture et rendrait la technique
plus abordable que celle du magnéto-optique, bien que ce dernier
n'ait pas encore dévoilé toutes ses ressources.
La technologie du changement de phase s'avère, dans le principe,
très simple. Sous l'effet de la chaleur, un alliage ou un composé
de matériaux de transition commute d'un état à un autre:
de l'état amorphe vers l'état cristallin ou inversement. Cette
modification peut être inversée sous l'effet d'un nouvel échauffement
afin que le matériau revienne à son état initial, assurant
de la sorte l'effacement des informations et une réécriture
directe des données.
Une couche à changement de phase, chauffée avec un spot laser
concentré et modulé par un signal, va changer d'état
à l'endroit précis de l'impact du laser ce qui a pour effet
de modifier localement sa réflectivité. Sous l'effet de la
chaleur, l'état initial amorphe du composé se commute en état
cristallin et la différence de réflectivité, détectée
lors de la lecture par un retour de signal, sera interprétée
comme un bit ou une suite de bits d'information. Le laser utilisé
pour la lecture étant de faible puissance, il ne modifie pas les
données. L'information écrite ou, plus exactement, les multiples
et infimes modifications d'état de la couche sont permanentes tant
qu'un nouveau passage du laser en puissance d'écriture n'a pas eu
lieu. Cette zone ou tache revient à son état initial si elle
est à nouveau chauffée par un spot laser et la couche peut
être à nouveau réécrite sans qu'une phase d'effacement
soit nécessaire.
Panasonic (groupe Matsushita) utilise cette technique depuis de nombreuses
années pour ses disques optiques numériques de 5,25 pouces
mais également pour ses disques optiques vidéo dont le premier
a été présenté en 1983 (MOS 6, page 7). Certains
fournisseurs de DON WORM comme IBM ou Kodak pratiquent une variante du changement
de phase qui ne permet pas la réécriture des données.
Si la technologie du changement de phase présente des avantages,
elle a également quelques inconvénients. Le principal est
le nombre de cycles écriture/réécriture; que peut supporter
une telle couche. Les essais faits en laboratoire démontrent que
le nombre de cycles est d'environ 100.000 alors que le magnéto-optique
peut en supporter dix millions. Cette fragilité est celle de certaines
zones plus sollicitées que d'autres, notamment là où
sont sauvegardés les répertoires du disque. L'inconvénient
est cependant tout à fait relatif: 100.000 cycles correspondent à
environ cinquante réécritures par jour, 365 jours par an pendant
cinq ans. Des tests récents tendent à démontrer que
certaines couches à changement de phase pourraient supporter jusqu'à
un million de cycles mais ils n'ont pas encore été mis en
pratique par les industriels.
Le changement de phase appliqué au disque optique a fait l'objet
de recherches dans la plupart des laboratoires des firmes travaillant sur
les médias optiques. Chez Philips (Eindhoven), les scientifiques
chargés de ce produit ont mis au point une technique particulièrement
novatrice. Leur but était d'améliorer les qualités
de réflectivité de la structure optique d'un CD-E. En introduisant
une première pellicule semi-réflective appelée - prémiroir,
ils ont réussi à obtenir un taux de réflectivité
de 70% pour un état cristallin alors qu'un état amorphe n'offre
qu'un taux de réflectivité de 18%. Le différentiel,
qui est le bit lui-même, est suffisamment grand pour diminuer le nombre
d'erreurs. Ils ont procédé à de nombreux essais d'enregistrement
et de lecture d'un disque, à une vitesse variant entre 1,2 et 1,4
m/seconde avec un laser de 785 nanomètres de longueur d'onde.
Avec un laser de 20 milliwatts de puissance, une couche à base de
GeTeSe (germanium, tellure, sélénium) met entre 300 et 800
nanosecondes pour commuter d'un état à l'autre. Il a fallu
procéder à plus d'une centaine de tests avant de trouver un
équilibre entre les éléments de la combinaison, l'épaisseur
de la couche et la puissance du laser. La structure optique proposée
par Philips est la suivante. Sur un substrat de polycarbonate est déposée
une première pellicule semi-réflective de 14 nanomètres
d'épaisseur à base d'or. Celle-ci est recouverte d'une couche
d'un composé diélectrique à base de ZnS-SiO2 de 13
nanomètres, sur laquelle est déposée la couche sensible
proprement dite à base de GeTeSe d'une épaisseur de 18 nanomètres.
Suivent une pellicule de protection à base de diélectrique
de 50 nanomètres puis une couche réflective à base
d'or et un vernis de protection qui pourra être, par exemple, un photopolymère.
Désignée par le nom de code MIPIM (pour Métal/Intermediaire-Interférence/
Phase/ Intermédiaire-Interférence/Métal), cette cavitéoptique
semble donner des résultats particulièrement satisfaisants
dans la perspective d'une application de type CD-E. De plus, elle permet
d'assurer une lecture de disques optiques effaçables enregistrés
sur des lecteurs de CD-ROM ou tout appareil compatible avec les spécifications
du Red Book (Livre Rouge) de Philips/Sony définissant les critères
du Compact Disc. Néanmoins, rien ne dit que c'est cette structure
qui sera adoptée pour ce nouveau média car rien de définitif
n'a encore été dit. Nous avons récemment appris que
les ingénieurs de Philips envisageaient de s'engager sur une autre
voie technique. Elle consisterait en un compromis faisant abstraction d'une
haute réflectivité de la structure optique et nécessitant,
de ce fait, un laser de moindre puissance. Ce choix permettra de produire
des enregistreurs de CD-E à un prix plus abordable mais ne permettra
plus la lecture des disques dont nous avons décrit la structure sur
de simples lecteurs de CD. Cette nouvelle approche est actuellement à
l'étude entre Philips et les industriels nommés au début
de cet article. Elle devrait donner naissance à un appareil répondant
à des besoins génériques de l'informatique: la lecture
des CD-A ou des CD-ROM, l'enregistrement et la lecture de CD-WORM ainsi
que l'enregistrement/ effacement/lecture de CD-E. En effet, l'objectif premier
est de proposer un "standard" commun entre les principaux industriels
afin d'assurer l'interchangeabilité des médias et la fabrication
d'un appareil pouvant être commercialisé à un prix "abordable"
afin qu'il devienne l'un des composants de base des micro-ordinateurs.
Pour mémoire, il convient de mentionner que la solution faisant appel
à un prémiroir - telle la structure MIPIM de Philips - a également
été testée chez Pioneer, Toshiba et d'autres. Leurs
ingénieurs ont utilisé une première couche semi-réflective
ou semi-transparente à base d'or puis, pour Toshiba, une pellicule
réflective à base d'aluminium afin d'obtenir des résultats
applicables soit à un CD-E, soit à un disque optique numérique
(3,5 ou 5,25 pouces). Les recherches visant à améliorer les
performances se poursuivent dans de nombreux laboratoires, notamment au
Japon. Nous devrions connaître à la fin de cette année
le choix définitif des industriels qui devront harmoniser leurs médias
afin de les rendre compatibles avec les différentes unités
qui seront proposées sur le marché.
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