Le disque optique, support légal en Italie
Legalisation of the digital optical disk in Italy

par Francis Pelletier - copyright © 1995 MOSARCA

Cet article a été publié dans le magazine MOS 130

Confronté à l'utilisation croissante de documents sous forme électronique et de nouveaux moyens de gestion et de conservation de l'information, le législateur italien a adopté en 93 une loi tendant à reconnaître une valeur légale aux données stockées sur disque optique numérique. A certaines conditions. Un décret publié récemment au journal officiel de la république italienne vient préciser les conditions dans lesquelles les obligations posées par cette loi seront remplies. Le décret pose ainsi les règles techniques et les procédures à suivre par les institutions et les sociétés désireuses de remplacer leurs originaux sur papier par des copies électroniques.

Cette approche italienne de la reconnaissance légale des informations archivées sur disque optique numérique soulève de nombreux problèmes et ne semble pas faire l'unanimité des industriels par son aspect parfois restrictif. Elle a toutefois le mérite d'aborder, malgré quelques lacunes, des questions essentielles qui pourraient faire école dans d'autres pays européens. Le décret relatif à l'utilisation des DON comme supports ayant valeur probante est le résultat d'une délibération de l'autorité chargée de l'informatique dans l'administration publique (italienne), délibération prise le 28 juillet 1994 dans le prolongement de la loi N°537 en date du 24 décembre 1993 de la République Italienne et plus particulièrement de son article 2, alinéa 15. Cet article 2, alinéa 15, dispose que les obligations en matière de conservation et de présentation de documents à des finalités administratives et probantes visées par la législation en vigueur sont réputées avoir été remplies, même s'il s'agit de documents réalisés sur support optique, à condition que les procédures utilisées soient conformes aux règles techniques prescrites par l'Autorité chargée de l'informatique dans l'administration publique. Les informations utilisées dans cet article sont extraites d'une traduction - non validée - réalisée par l'AFNOR (Association Française de NORmalisation).

Selon ce décret, plusieurs types de disques optiques numériques pourront être utilisés pour archiver des informations et des documents à condition que ces disques soient physiquement irréversibles. Sont donc concernés le CD-WORM (également appelé CD-R) et les DON WORM gravés par des procédés ablatifs (formation de trous ou de cuvettes), par thermodégradation (formation de microbulles), par agrégation de couches ou par fusion/ablation comme dans les média à base de polymère teinté. Sont compris dans cette énumération les disques optiques numériques WORM de 14 pouces répondant à la norme ISO-10885 ainsi que les DON WORM 5,25 pouces dont les spécifications sont conformes à l'ISO-9171 (parties I et II).

Mais sont exclus, sans toutefois que cela apparaisse explicitement dans le décret, les disques optiques numériques WORM de 12 pouces (30 cm) et les DON CCW ou pseudo-WORM. L'exclusion des DON WORM 12 pouces a de quoi surprendre car leur usage est répandu dans l'archivage de documents et d'informations pouvant avoir une valeur légale. Les rédacteurs de ce document ont vraisemblablement fait l'impasse sur ces média du fait des spécificités de chacun d'eux interdisant une portabilité des disques entre les différentes unités d'enregistrement/lecture actuellement commercialisées sur le marché européen.

L'exclusion du disque optique CCW également appelé &laqno;pseudo-WORM» s'explique mieux et découle de la nature même du support sur lequel sont enregistrées les informations. Basé sur la technologie magnéto-optique, le DON-CCW (voir MOS N°121, pages 21 à 24) utilise un blocage logique pour interdire que les secteurs enregistrés soient effacés et réécrits. Ce blocage logique et non physique ne satisfait pas le législateur italien qui a décidé de ne prendre en considération que les supports sur lesquels les informations sont enregistrées par la modification physique d'une couche ou d'une structure optique. Quand la nouvelle s'est répandue que le DON CCW était exclu des supports d'archivage pouvant avoir valeur probante, elle a provoqué un tollé chez certains fournisseurs d'unités d'enregistrement/lecture multifonctions.

Chez Maxoptix, au premier rang, mais aussi chez Hewlett-Packard dont l'offre est basée sur ce type de produits offrant à l'utilisateur le choix entre un média effaçable (magnéto-optique) et bloqué en réécriture (CCW). La crainte de Maxoptix, et dans une certaine mesure de Hewlett-Packard, est que le décret italien ne soit repris par d'autres pays européens, ce qui limiterait leurs marchés. Mais comme le précise le document publié au journal officiel italien, &laqno;lorsque d'autres normes ISO répondant également aux exigences relatives à l'archivage sur support optique aux fins probantes et administratives seront adoptées, l'Autorité procédera à la mise à jour de la présente liste et promulguera les règles techniques afférentes». Toutefois, il est précisé dans une annexe que &laqno;le disque doit être doté de deux caractéristiques fondamentales aux fins administratives et probantes (et qui peuvent être non nécessaires à d'autres fins): il doit être stable dans le temps et non réinscriptible».

Des contraintes d'utilisation de la structure logique

Les utilisateurs de disques optiques WORM devront se conformer à des règles techniques dont certaines concernent la structure logique des enregistrements sur DON et les formats utilisés pour les documents. Le décret italien a adopté la norme ISO/DIS-13346 ou ECMA-167 relative à la &laqno;structure de volume et de fichiers sur support optique, d'écriture unique (WORM) et de réécriture (effaçable) utilisant un enregistrement non séquentiel pour l'échange d'informations». Cette norme ECMA-167, en cours d'approbation à l'ISO, ne fait pas l'unanimité des professionnels, notamment des fabricants de produits WORM. Elle a par contre déjà été implémentée par MicroDesign International (MDI) dans sa gamme de logiciels de gestion de DON. L'archivage et la conservation des documents ou des informations sur CD-WORM sont également soumis à l'usage des normes ISO-9660 et ISO/DIS-13490 (ECMA-168). Pour les documents numérisés puis stockés sur DON ou CD-WORM, le décret italien a adopté les formats d'enregistrement et de compression conformes aux normes CCITT G3/G4 ainsi que JPEG (ISO-10918).

Une identification physique de chaque disque

Avant tout usage d'un support optique pour l'archivage de ses documents ou fichiers, l'utilisateur devra s'assurer de la pérennité des média employés. Il devra demander à son fournisseur d'indiquer, sous sa responsabilité, les conditions optimales de conservation physique du disque optique. Ces conditions de conservation sont la température d'utilisation et de stockage, l'humidité relative acceptable et les conditions d'environnement assurant une stabilité physique du support et des enregistrements qu'il contient dans l'objectif d'une exploitation (lecture) à long terme. Le décret italien précise que &laqno;l'administration doit s'assurer que lesdites conditions soient rigoureusement respectées».

Parmi les autres contraintes, le législateur italien prévoit une identification physique de chaque disque par le fabricant de média. Celle-ci devra être lisible et inaltérable. Elle comprendra le nom ou l'identification du fournisseur, la date de fabrication ainsi qu'un code unique à chaque disque fabriqué. A défaut, l'identification du disque optique est assurée par le responsable au sein de l'entreprise ou de l'administration. Il devra y apposer sa signature ainsi qu'un identifiant (chiffres et/ou caractères) garantissant le caractère unique du média. Le décret italien prévoit aussi l'apposition d'un hologramme collé sur le disque afin de garantir, le cas échéant, l'appartenance d'un disque à un lot spécifique de l'administration publique.

Des contrôles de l'intégralité des médias

D'autres règles technique décrites par le décret italien abordent la question de l'accessibilité à l'ensemble des données contenues sur un DON ou sur un CD-WORM. Il est demandé que les fournisseurs des unités d'enregistrement/lecture et des programmes de gestion certifient qu'il est possible à tout moment de vérifier le contenu du média. Cela suppose qu'il soit possible de relire n'importe quelle zone y compris les zones déclarées annulées, de visualiser les zones occupées et libres. A cela s'ajoutent des règles concernant la saisie de l'image en cours d'enregistrement, les fonctions de copie, de visualisation et d'impression des documents archivés selon des modalités interdisant toute manipulation frauduleuse du document. Le législateur italien impose également que les programmes de gestion des DON ou des CD-WORM utilisent une interface auto-explicative permettant un usage ou un contrôle par un utilisateur non familiarisé. Il est également recommandé aux utilisateurs de préférer, au moment de choisir, des unités d'enregistrement/lecture permettant de mesurer la capacité résiduelle de correction des erreurs.

Lors de l'acquisition d'unités d'enregistrement/lecture mais aussi de média, l'utilisateur devra faire spécifier un certain nombre de clauses sur le contrat de vente. Les fabricants devront garantir que leurs produits seront disponibles sur le marché pendant une période de trois ans à compter de la date de cession. Ils devront également assurer une compatibilité de lecture de leurs nouveaux appareils avec la génération précédente de média afin de garantir la relecture des données. De plus, les fournisseurs de drives devront s'engager à assurer l'entretien ainsi que la fourniture de pièces de rechange deux ans après la date de notification à l'administration du retrait commercial de leurs produits. Les clauses devront contenir un engagement spécifiant qu'il existe des procédures de ressaisie des données ainsi qu'une seconde source d'approvisionnement/remplacement des disques et des drives.

Enfin, le fournisseur devra fournir un certificat de conformité aux normes physiques et logiques décrites plus haut. Ce certificat pourra être délivré par un centre européen agréé - qui n'existe pas encore mais fait l'objet de plusieurs projets. Toutefois, en l'absence de cette institution, ce document pourra être remplacé par une déclaration sur l'honneur du fournisseur.

Un descriptif des méthodes utilisées et du contenu de chaque disque

Pour sa part, l'utilisateur devra se soumettre à certaines règles. Le premier fichier enregistré sur chaque disque doit comprendre des données sur son appartenance, son usage et son contenu. Réunies dans un document ou formulaire, celles-ci fournissent les informations suivantes: la date de début de l'enregistrement, l'identification de la personne responsable de la saisie sur le disque, le contenu prévu, les modalités de saisie, des données relatives à la compression utilisée ainsi qu'au cryptage éventuel des documents. A chaque fichier enregistré sur le disque optique doivent être également associées des informations de ce type. De même, lors de la clôture d'un disque, il doit être prévu un fichier décrivant son contenu ainsi que des données concernant les zones occupées, libres ou endommagées auxquels s'ajoutent des informations utiles au repérage des documents.

Au décret de loi paru au journal officiel de la république italienne ont été ajoutées des annexes décrivant en détail certains aspects techniques auxquels doivent se soumettre les utilisateurs. Il serait fastidieux d'énumérer l'ensemble des points cités dans ces annexes fortes d'une vingtaine de pages. Toutefois, nous en avons relevé un certain nombre suggérant des procédures ou méthodes de travail. Il est demandé de regrouper les documents, et également les disques optiques, suivant la durée légale de conservation des documents archivés. Ainsi devront être regroupés sur un même support les documents qui doivent légalement être conservés pendant une période de dix ans, ceux dont la durée de conservation légale est de quarante ans, etc. D'autres procédures s'attachent au contrôle du bon état de conservation des média et des données qu'ils contiennent. Un calendrier de séances de contrôle de l'état de conservation pour chaque groupe de documents est à prévoir. Il mentionnera les opérations de test de la qualité de conservation des données archivées sur le ou les disques optiques en tenant compte d'un niveau minimal en dessous duquel il est nécessaire de procéder à une copie globale du disque sur un nouveau média, voire éventuellement sur une nouvelle génération de média.

La présentation de la preuve selon le décret italien

Les experts italiens ont émis plusieurs hypothèses sur la façon de présenter le document (image numérisée ou fichier) en cas de litige, de mise en demeure ou de requête administrative. La première consiste à présenter le disque sur lequel est ou sont contenus les documents. Cela impose un transport physique du média vers l'organisme demandant la présentation du document. Reste à savoir, comme le souligne l'une des annexes du décret italien, si le demandeur peut ou doit conserver ce disque ou s'il peut ou doit copier le document sur ses propres disques. De même, est évoqué le droit pour une administration d'effectuer des copies sur papier du document numérisé. Les experts ont également émis l'hypothèse que le document soit transmis par réseau avec la possibilité de vérifier a posteriori sa conformité avec le document original conservé sur le disque validé comme archive. Mais dans la plupart des cas évoqués, aucune procédure véritable n'est suggérée, ce qui laisse place à beaucoup d'improvisation et constitue une zone d'ombre peu propice à la rigueur légale.

Sous le signe de l'ouverture

Dans les documents annexes, le législateur italien fournit quelques explications sur les règles techniques tout en abordant des considérations plus générales. &laqno;L'Autorité (italienne) a publié le présent groupe de documents afin de faire connaître ses résolutions en la matière, bien que lesdits documents présentent encore des lacunes.
Elle entend ainsi indiquer à l'administration, aux fournisseurs et aux personnes physiques concernées, dans les délais les plus brefs, tout en fournissant les prescriptions additionnelles et les compléments requis, y compris en ce qui concerne les modalités applicables à la définition des procédures, quelles sont parmi les normes en vigueur celles qui sont propres à répondre aux exigences stipulées par loi. Il a été opté pour cette approche, afin d'éviter que le marché ne soit pris de court au moment où les administrations décideront de procéder à la mise en uvre de systèmes d'archivage basés sur des supports optiques.» Et le document poursuit ainsi: &laqno;en ce qui concerne les technologies, l'Autorité indique dans le présent document celles qui, dans l'état actuel des choses, sont arrivées à un stade d'élaboration jugé suffisant pour répondre aux exigences de l'administration publique, et elle se réserve la possibilité d'en approuver d'autres ultérieurement lorsque celles-ci seront considérées comme ayant atteint un stade de développement suffisamment avancé pour être adoptées».

Cela laisse supposer une évolution possible des recommandations comme des procédures au fur et à mesure que changeront les disques optiques mais également les normes concernant la structure logique des fichiers et les formats d'enregistrement des données et des images numérisées. Comme le mentionnent les textes en annexe, &laqno;l'article 2 (alinéa 15 - loi N°537/93) attribue à la conservation sur support optique une spécificité typiquement italienne, puisqu'elle dispose explicitement que les obligations en matière de conservation et de présentation aux fins administratives et probantes peuvent être remplies par l'utilisation de supports optiques en lieu et place de supports papier. Par conséquent, cette possibilité introduit une série complémentaire de contraintes et de limitations à l'égard de l'utilisation de la technologie qui (viendront s'inscrire) ultérieurement dans le cadre des normes européennes disponibles»... &laqno;Compte tenu de ces limitations, l'Autorité (italienne) veillera à mettre constamment à jour les actuelles règles techniques et à promouvoir des règles nouvelles sur la base des normes stipulées en la matière par l'Union européenne».

Si l'on ne doit pas s'attendre à voir les autres pays de la communauté s'aligner d'emblée sur les thèses italiennes, il n'en demeure pas moins que le décret italien et ses compléments techniques mettent en évidence certains aspects techniques qui pourraient être pris en compte par les législateurs d'autres pays européens, toujours dans l'attente d'une loi communautaire. Il en ressort que l'irréversibilité physique du support d'enregistrement prime, de même que sa durée de vie. Ce décret introduit des procédures nouvelles que pourraient mettre en uvre les concepteurs de logiciels ou de solutions de gestion électronique de documents pour faciliter l'application de règles techniques qui peuvent paraître contraignantes. Par ailleurs, les travaux en cours dans la majeure partie des comités nationaux et internationaux de normalisation apporteront des solutions capables de répondre aux exigences du législateur.

Francis Pelletier

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